#364 - novembre/decembre 2022

Chants discriminatoires dans les stades

Le football, un sport qui déchaîne les passions aux quatre coins du monde. Celles-ci peuvent être positives si l’on prend l’exemple de l’engouement des Belges pour leur équipe nationale et les scènes de communion lors de tournois internationaux. Elles peuvent également être négatives comme en attestent plusieurs exemples récents où des supporters de clubs européens ont été épinglés pour des gestes ou des chants à caractère discriminatoire. La Belgique n’échappe pas à la règle. Nos stades de football demeurent des terrains propices à la diffusion d’idées racistes, antisémites, xénophobes, homophobes et anti-communautaires notamment au travers des chants de supporters qui constituent un véhicule de diffusion de ces idées, bien souvent sous le couvert du folklore.

 

Le chant entonné en chœur par des groupes de supporters lors de matchs de football représente un incontournable du spectacle sportif. Il fait partie de ce qu’on peut appeler le folklore footballistique et représente un outil indispensable pour les supporters afin qu’ils puissent avoir le sentiment de peser sur le sort de la rencontre en soutenant leur équipe ou en s’opposant à l’adversaire2. À l’image d’un chanteur, chaque groupe de supporters possède son répertoire composé de chants créés ou repris et adaptés. Ces chants, ils peuvent être festifs ou exaltants afin de soutenir leur équipe, ou taquins pour titiller l’adversaire, mais ils peuvent aussi être volontairement insultants et discriminatoires dans l’optique de déstabiliser l’adversaire3.

 

Rôle du chant de supporters

 

À côté du chant, le stade représente un exutoire, un lieu où la personne se rend afin de s’évader de son quotidien et au sein duquel elle peut plus facilement exprimer des émotions plus débridées4, ce qui offre un terrain propice à l’expression de la violence dans ses formes physique et verbale5. Au niveau des classes dirigeantes, le couvert du folklore a très souvent servi à minimiser et tolérer ces comportements transgressifs des supporters6, ce qui s’explique, en partie, par le fait que le football professionnel belge est majoritairement composé de clubs issus de la partie nord du pays rendant pendant longtemps les instances sportives peu enclines à s’attirer les foudres de ceux-ci7. 

 

En parallèle, le football, sport populaire, constitue un miroir de la société dans laquelle il se place8. Il n’est donc pas étonnant d’observer la présence de la discrimination sous toutes ses formes dans les stades. Cependant, les récentes évolutions sociétales et l’apparition de mouvements sociaux tels que #MeToo et Black Lives Matter couplés à la médiatisation importante du football induisent que la tolérance à l’égard des chants discriminatoires n’est plus admise par la société. Face à cette situation, les instances décisionnelles ont dû agir. 

 

Les instances censées gérer

 

En Belgique, trois instances jouent les rôles principaux à l’égard de la problématique des chants à caractère discriminatoire dans le football professionnel. D’un côté, il y a l’État qui, par le biais de la Cellule Football du ministère de l’Intérieur, applique la loi relative à la sécurité lors des matchs de football du 21 décembre 1998. Cette disposition législative a été créée en marge de l’organisation conjointe par les Pays-Bas et la Belgique de l’Euro 2000 de football afin d’apporter une réponse aux décennies précédentes marquées par le supportérisme violent. Afin de répondre aux spécificités du football et de ses dérives, la forme administrative a été consacrée pour les sanctions de cette loi, ce qui permet une action plus rapide avec une sanction dans les mois suivants l’infraction. 

 

De l’autre côté, il y a la Royale Belgian Football Association (RBFA) et la Pro League. La première, en tant que fédération nationale de football, édicte les règlements et a le pouvoir de sanctionner ses affiliés. La seconde, en tant qu’organisatrice du football professionnel belge, ne possède pas ce pouvoir de sanction. Cependant, la Pro League a été la première à se doter, en 2019, d’une politique de lutte contre la discrimination axée sur la sensibilisation et l’éducation. Après de multiples critiques sur son inaction et une prise de conscience de la nécessité d’agir, en 2021, la RBFA a emboité le pas à la Pro League. Sa politique s’axe autour de cinq piliers que sont l’écoute, la représentation, la formation, l’évaluation et la communication. En matière répressive, une chambre nationale contre la discrimination et le racisme a été créée pour en finir avec les disparités de jugement des Comités disciplinaires pour des faits similaires.

 

Écueils à l’action 

 

Chaque étage de la procédure de gestion – à savoir : la constatation, la poursuite et la sanction – présente un écueil, et ce, autant pour le tandem RBFA/Pro League que pour l’État. Au niveau de l’identification du fait discriminatoire, les instances doivent toutes faire face au problème posé par le fait que le chant soit entonné en chœur. Il est difficile d’identifier et, par conséquent, de poursuivre chaque individu, il existe donc une proportion significative d’impunis. Concernant la Cellule Football, elle tire son pouvoir de la loi qu’elle doit veiller à faire appliquer. Comme expliqué, elle consacre des sanctions administratives au travers d’amende et d’interdiction de stade cumulable pour une question de rapidité. Mais il faut garder à l’esprit que la loi football a été pensée pour endiguer les violences physiques entre supporters fréquentes dans l’Europe des années 1980-1990. Ce système « para-pénal » permet donc une rapidité du traitement des affaires, mais est également moins pénalisant pour le fautif9. Dès lors, la loi est-elle adaptée pour répondre à des actes de violence verbale ? Sachant qu’il existe des lois pénales à portée antidiscriminatoire, ne seraient-elles pas plus indiquées pour juger un acte discriminatoire dans le football ? 

 

Concernant le tandem RBFA/Pro League, outre le problème d’identification, les moyens de poursuites posent un problème puisque seuls les affiliés peuvent l’être, ce qui exclut le supporter et reporte la sanction sur les clubs. À côté de cela, pendant longtemps, les Comités disciplinaires furent composés de membres issus du monde du football plutôt réticents à condamner un club pour le comportement de ses supporters et consacrant une justice arbitrale et corporatiste. Cependant, la nouvelle politique de la RBFA doit mettre un terme à ce mode de fonctionnement en nationalisant la chambre disciplinaire et en la constituant “d’experts” en matière de discrimination et externes au football. Mais la sanction qui peut être infligée demeure assez faible. En effet, les affiliés risquent ainsi une amende maximale de 5.000 euros et l’obligation de jouer un match à huis clos. Plutôt faible pour avoir un réel effet dissuasif. 

 

Pour des sanctions dissuasives

 

Si, pendant longtemps, la situation semblait être tolérée par la plupart, les récentes évolutions sociétales font bouger les lignes. L’apparition de divers mouvements sociaux tels #MeToo et Black Lives Matter et la médiatisation importante du football montrent que la société ne veut plus tolérer les comportements discriminatoires présents dans le football. Le folklore des tribunes participe à la beauté du sport, mais il doit évoluer avec son temps et exclure le caractère discriminatoire des chants. Dans cette optique, les instances décisionnelles possèdent un rôle primordial pour permettre cette évolution. 

 

Face à cette situation, elles ne peuvent plus minimiser la situation. Si, au niveau de l’État, la politique a toujours été la tolérance zéro dans l’application de la loi football et que le problème réside plus dans la compatibilité entre la loi et les faits de violences verbales, au niveau de la RBFA et de la Pro League, la prise de conscience de la nécessité d’agir est plus récente. Il est trop tôt pour juger l’impact réel de leurs politiques respectives de lutte contre les discriminations. Néanmoins, des avancées intéressantes ont été mises en place. En attestent les points de signalement qui doivent permettre une meilleure identification et la création d’une chambre nationale pour juger les faits de discrimination. Cependant, il reste un travail important à réaliser afin d’assortir ces évolutions de sanctions réellement dissuasives pour endiguer la survenance de chants à caractère discriminatoire. 

[1] “Comment les instances ayant un pouvoir d’action agissent-elles vis-à-vis des chants offensants et discriminatoires présent dans les tribunes des stades de la première division professionnelle de football belge?”

[2] Antoine Lech, “le processus de tension émotionnelle des publics de football”, in Segura Trejo, Fernando (dir.), Saberes y lugares en movimiento, Universidad de Nuevo Leon, Serna Impresos, 2010, p. 196.

[3] Sabine Bastian et Florian Koch, “Le dénigrement de l’autre par le biais de la langue. Une étude pilote dans le domaine du foot en France”, in Revue d’études françaises, 2015, n° 20, p. 25.

[4] Mike Schäfer et Jochen Roose, “Chapter 13: Emotions in sports stadia”, in Sbille Franck et Silke Steets (eds.), Stadium worlds: Football, space and the built environment, Londres, Routledge, 2010, p. 233.

[5] Paul Ashmore, “Of other atmospheres: football spectatorship beyond the terrace chant”, Soccer and Society, 2017, vol. 18, n° 1, p. 32.

[6] Nadia Fadil et Marco Martiniello, “Racisme et antiracisme en Belgique”, Fédéralisme Régionalisme, 2020, vol. 20, p. 7.

[7] Jean-Michel De Waele et Gregory Sterck, “Belgium”, in Jean-Michel De Waele,Suzan Gibril, Ekaterina Gloriozova et Ramon Spaaij (eds.), The Palgrave International handbook of football and politics, Cham, Palgrave Macmillan, 2018, p. 29.

[8] Christian Bromberger et Ludovic Lestrellin, “Le sport et ses publics”, in Arnaud Pierre, Attali Michel & Saint-Martin Jean (dir.), Le sport en France. Une approche politique, économique et sociale, Paris, La Documentation française, 2008, p. 124.

[9] Elisabeth Willemart, “La répression administrative en Belgique et les sanctions administratives communales», A.P.T., 2002, vol. 1, p. 5.

 

Que faire contre le racisme dans les stades de foot? – KOP FOOTBALL

Racisme et fédérations sportives

 

Que font les autres fédérations sportives pour lutter contre le racisme ? La réponse est simple, rien. Si toutes admettent que le racisme est un problème sociétal dont elles se savent ne pas être épargnées, à l’heure actuelle, aucune n’a développé de politique ou d’action de lutte contre le racisme. Pourquoi ? Car la nécessité de le faire n’est pas visible. Très peu de faits sont rapportés aux fédérations et celles-ci disposant de moyens financiers et humains limités, elles ne font pas de la lutte contre le racisme une priorité. Cependant, certaines s’investissent sur le terrain de l’inclusion sociale et mettent petit à petit en place des actions dans l’optique d’accueillir un public plus diversifié et de faire grandir le sport. Mais il demeure certaines fédérations qui sont hermétiques au changement ou attendent une aide extérieure pour évoluer sur le sujet. 

 

Dans cette optique, comment faire bouger les lignes ? Il est d’abord intéressant de mettre en lumière le récent décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur l’éthique dans le sport qui force les fédérations sportives à repenser leur politique sur divers sujets tels que la diversité, l’inclusion, mais aussi la lutte contre le racisme. Dans cette optique, il est également primordial que chaque fédération se dote d’outils leur permettant d’identifier les faits de racisme dans leur sport et le cas échéant de les sanctionner. Enfin, l’entame d’un dialogue entre fédérations sportives sur la possibilité d’actions communes à l’égard du racisme pourrait être une solution intéressante afin de pallier les problèmes de ressources humaines et financières.