#363 - septembre/octobre 2022

Le Festival BRuMM

 

Les musiques venues d’ailleurs sont désormais d’ici. Elles se sont perpétuées et réinventées dans un contexte socioculturel bien différent des sociétés qui les ont vues naitre. Elles font partie du patrimoine musical bruxellois. Cependant, elles restent méconnues, voire totalement inaudibles. Avec le festival BRuMM (Bruxelles Musiques Migrantes)1, nous souhaitons mettre ces pratiques musicales à l’honneur en les inscrivant dans l’espace public.

 

On se promène un matin à Jette et soudain on est saisi par le son de clarinettes turques. Ce sont des musiciens venus chercher une mariée à son domicile. D’autres jours, c’est le choeur d’une église évangélique qui répète dans une arrière maison, des musiciens brésiliens dans un café gare du Midi, une fête équatorienne dans un centre culturel grec, la rencontre entre des musiciens belges et afghans dans un bistrot, un mariage marocain dans une salle des fêtes, des chants albanais durant un repas entre amis… Bruxelles, ville multiculturelle, est immensément riche de toutes ces pratiques musicales. Pour autant, elles restent méconnues. Il y a celles que l’on a la chance de connaître, celles que l’on perçoit, et puis toutes celles qui restent à découvrir et à partager.

 

Avec le Festival BRuMM, nous souhaitons participer au décloisonnement de ces pratiques musicales en créant des espaces de rencontres, de connaissances et d’expériences partagées. Les musiciens sont associés le plus possible à l’élaboration de la programmation et à la réflexion sur les actions à mener. Leur implication va bien au-delà d’un simple rapport de prestation artistique.

 

Le festival a été créé en 2018 à l’initiative de Stéphanie Weisser, ethnomusicologue, alors directrice de la Villa de Ganshoren. Dès le début, elle a souhaité s’associer à d’autres acteurs du monde culturel et académique. Au fil des éditions, les partenariats se sont consolidés et étoffés. L’édition 2022 est ainsi le résultat d’un travail commun entre La Villa de Ganshoren, la Maison de la création de Neder-Over- Hembeek, le Senghor (Etterbeek), la Vénerie (Watermael-Boitsfort), le Centre d’Etude de l’Ethnicité et des Migrations (CEDEM-ULiège), le laboratoire de musicologie de l’ULB, PointCulture Bruxelles, Digital Transmedia et le CBAI.

 

A la suite de l’asbl La Concertation, le CBAI a repris la coordination du festival en 2020 avec la volonté de poursuivre les intentions premières et de développer les actions interculturelles. Pour atteindre ses objectifs, le festival allie différentes actions complémentaires : journée d’étude et d’échange, concerts, résidences de création, activités de médiation et constitution d’un fond de ressources documentaires.

 

La journée d’étude et de rencontre1 portait sur l’engagement, le thème annuel du festival, et s’adressait à un public le plus large et divers possible. C’est pourquoi nous avons choisi un lieu accessible à tous et un format propice aux échanges et à la convivialité : des tables rondes durant lesquelles entrent en dialogue à la fois des chercheurs (ethnomusicologues,
sociologues,…) et des musiciens. La journée a aussi été rythmée par des interludes musicaux qui ont permis d’entendre des musiciens. Ce n’était pas simplement des pauses musicales : avoir fait connaissance avec eux prépare l’écoute. La musique entre en résonance avec les propos tenus. C’est dans cet esprit que nous souhaitons poursuivre car cela nous semble un bon moyen de partager des connaissances, de façon simple et conviviale, tout en intéressant un public varié.

 

Le festival s’est déployé sur plusieurs semaines dans les quatre centres culturels partenaires. Les concerts proposés étaient pour la plupart le résultat de résidences. Ces dernières ont été pensées soit pour permettre aux artistes de travailler leur répertoire dans de bonnes conditions, soit pour favoriser des rencontres musicales inédites. Ainsi le groupe Banalenke a été accueilli en résidence à la Vénerie en amont du festival, ou bien encore le joueur de oud irakien Hussein Rassim et le batteur argentin Alfredo Bravo ont pu créer un répertoire original à la Maison de la création de Neder-Over-Heembeek.

 

Médiation et espace de rencontre


Suivant ses spécificités propres, chaque centre culturel s’approprie le festival. Un même esprit demeure toutefois: un fort accent est mis sur la médiation. Ainsi, outre les concerts tout public, sont organisées des rencontres à destination du public scolaire (deux classes de primaire ont assisté au Senghor à un concert autour de l’engagement politique du chanteur populaire chilien Victor Jara), ou associatif (Hussein Rassim et Alfredo Bravo ont rencontré des jeunes pachtounes accueillis dans un centre Fedasil2). La médiation peut aussi s’adresser au grand public. Ainsi le concert des Sultanat B’net Chaabi à la Villa de Ganshoren a été précédé d’une conférence d’Hélène Sechehaye et de Laïla Amezian sur le chaabi marocain, avec un échange avec les musiciennes. Quelle que soit la forme adoptée, il s’agit de créer des rencontres et de donner de clés d’écoute pour entrer dans un répertoire musical.

 

L’ensemble des concerts et activités a été filmé. En marge des événements, nous avons aussi réalisé des portraits de musiciens et des interviews des intervenants de la journée d’étude.. Progressivement, nous aimerions ainsi constituer une cartographie sonore et visuelle des musiques migrantes de Bruxelles3.

 

L’an passé, un musicien iranien nous confiait avoir été touché par l’émotion et la réceptivité d’une élève lors d’une
animation dans une école de Neder-Over-Heembeek. Il nous a dit que c’est dans des moments comme cela que son travail prenait tout son sens. Avec BRuMM, nous espérons catalyser d’autres nombreuses nouvelles rencontres.

[1] www.brummfestival.be
[2] Voir l’info dessinée « Rencontre du 3ème type ».
[3] Le travail initié par l’Université Paris Nanterre et soutenu par la municipalité sur le « patrimoine musical des Nanterriens » est à ce titre exemplaire. Cf. Nicolas Prévôt, « Ethnomusicologie et recherche-action : le patrimoine musical des Nanterriens », in Cahiers d’ethnomusicologie, 29, 2016, pp. 137-156.