Mettre fin au déni institutionnel et soutenir les forces vives associatives non-marchandes !

Les travailleurs sociaux de Molenbeek dénoncent le désengagement politique, le sous-financement et la fragilisation du secteur non marchand. Ils alertent sur les effets destructeurs des réformes et exigent reconnaissance, moyens durables et vision sociétale. Une carte blanche signée par le CBAI publiée dans Le Soir du 8 septembre 2025.

 

L’absence prolongée de gouvernement en Région de Bruxelles-Capitale, combinée aux mesures délétères prises (ou annoncées) par le gouvernement fédéral, met cruellement en lumière la fragilité systémique du secteur non marchand. Ce vide politique n’est pas seulement institutionnel : il est révélateur d’un manque de vision sociétale, d’un déni profond des réalités quotidiennes de nombreux·euses bruxellois·es et d’un désintérêt manifeste pour les populations les plus précariséesx (1).

 

A Molenbeek-Saint-Jean, comme dans d’autres communes populaires de Bruxelles, ce désengagement se traduit par un sous-financement récurrent, un jonglage comptable pour permettre le montage d’un budget de fonctionnement opérant, des réformes incohérentes, et souvent une absence de dialogue avec les acteurs de première ligne. Les décisions prises à distance, souvent technocratiques, ignorent les dynamiques locales, les besoins urgents et les efforts quotidiens de celles et ceux qui soutiennent les habitant·es dans leur parcours de vie.

 

A titre d’exemple, les récentes incertitudes relatives à la poursuite du programme « Politique de la Ville » (subside régional) mettront sur le carreau d’ici janvier, si aucune mesure n’est prise, 26 travailleuses/travailleurs sociales/sociaux. Un mini-séisme impactant le fonctionnement de programmations culturelles destinées à la petite enfance, la jeunesse, l’accueil en infrastructures sportives de proximité, l’accompagnement de publics en insertion sociale et professionnelle ainsi que les personnes primo-arrivantes. En outre, les opérateurs locaux doivent jongler, via les communautés (FR, NL, Cocof, VGC) et tâcher de boucler leur budget avec des subventions « facultatives » – souvent octroyées sans réelle logique de temporalité ou de moyens permettant la mise en œuvre complète des « initiatives ». Aucune pérennisation n’est envisageable dans ces cas de figure. De plus chaque année, diverses déclarations dans les médias laissent à penser que de futurs bouleversements relatifs aux politiques d’emploi ACS en Région bruxelloise impacteront nos secteurs : suppressions, non-reconduction de postes vacants, activation plutôt qu’appui à l’emploi… Ce soutien à l’emploi associatif est essentiel et est malgré tout injustement déconsidéré.

 

Affaiblissement et découragement

 

Ce mépris institutionnel assorti à la logique comptable du gouvernement qui prévaut (Que coûtez-vous à la société ? Que lui rapportez-vous ?) a des conséquences concrètes : il affaiblit les structures associatives, décourage les travailleuses/travailleurs sociales/sociaux et renforce le sentiment d’abandon chez les citoyennes et citoyens précarisé·es. Il s’agit là d’un manque de respect flagrant envers les professionnel·les du social, qui accompagnent, écoutent, soutiennent et innovent dans des conditions de plus en plus précaires.

 

En outre, nous devons également relever, depuis plusieurs années, une dérive dans le discours politique qui vise à présenter le secteur non-marchand, les associations (tous secteurs confondus) sous la caricature du « club de copains », qui usent et abusent de subsides grassement versés par des pouvoirs publics dispendieux. Ce registre d’argumentation est indigne de responsables, plus encore lorsqu’ils/elles utilisent le cadre de la démocratie pour, par de tels sous-entendus populistes, contribuer à en saper les fondations ! Nos réalités depuis au moins la pandémie de covid (voire la période des attentats) consistent pour les équipes de nombreux terrains à lutter à bras-le-corps pour maintenir un filet de sécurité et de dignité aux populations qui risquent de basculer dans la marge. La fracture numérique en Région bruxelloise en est un exemple criant : la digitalisation des services (publics) avance bon train, les associations sont priées d’assurer les lacunes des compétences digitales de la population (2) ! Continuer à proposer des activités dans l’espace public au sein de quartiers où les violences liées directement au trafic de drogue minent les liens sociaux déjà largement fragilisés par les crises successives ! Enfin, il est impossible de nier que les futures mesures prises vont faire basculer une partie de la classe moyenne dans la précarité. Elles iront rejoindre la déjà longue liste des « laissés-pour-compte » faute à l’inaction de nos gouvernements.

 

Rectifier le tir

La présente carte blanche est donc une alerte collective, lancée par les travailleuses/travailleurs sociales/sociaux de Molenbeek issu·es de tous les secteurs – santé, jeunesse, insertion, culture, médiation, éducation, cohésion sociale, logement, aide sociale – pour exiger une reconnaissance réelle, un soutien durable ainsi qu’une vision politique à la hauteur des enjeux humains et défis sociétaux. Il ne faut pas être grand savant pour affirmer que, dans un délai de 2-3 années, les effets (cumulés) des mesures de la Loi-programme de l’Arizona reviendront telles un boomerang à la figure des gouvernements tant fédéral que régional ! Il est indéniable que de telles mesures finiront à terme par coûter beaucoup plus cher à la société. Il est important de faire preuve de bon sens et de courage politique en renforçant le financement du secteur non-marchand.

Aussi, nous revendiquons…

  • une reconnaissance structurelle, durable et viable financièrement, du secteur non-marchand en Région Bruxelles-Capitale ;
  • un renforcement des politiques sociales régionales ;
  • un soutien accru aux actrices et acteurs culturel-le-s et socioculturel-le-s : la Culture reste un ferment incontournable du « vivre et faire ensemble », plus encore en période de repli, de méfiance et de perte de repères (3) ;
  • un financement des budgets des CPAS à hauteur du défi financier posé par la politique de l’Arizona et sa « Loi-programme » du 21 juillet, en dialogue avec les communes concernées les plus impactées par ladite Loi.

 

Cette carte blanche s’adresse tant aux responsables politiques de la Région de Bruxelles-Capitale, qu’aux institutions communautaires et au gouvernement Fédéral.

 


(1) La perspective de l’exclusion du chômage au-delà de deux années d’allocation représente ici quelque 4.038 personnes (soit 4,1 % de la population – source BX1, 25.06.2025). La commune estime qu’un budget supplémentaire de 7 millions d’euros devra être fourni en appui au CPAS. A l’échelle de la Région, Vivalis projette que pas moins de 24.700 personnes de moins de 55 ans seront exclues du chômage, dont 42 % (soit 10.200 pers.) se retrouveraient sans revenu propre (ni du travail, ni de la sécurité ou de l’aide sociale). Vivalis, communiqué du 14.03.2025.

 

(2) Selon le Baromètre de l’inclusion numérique (2022), près de 2 Bruxellois sur 5 sont en situation de vulnérabilité numérique. D’où la campagne et les mobilisations associatives lancées dès 2022 contre l’Ordonnance « Bruxelles numérique ». A titre d’exemple : « De quoi la campagne contre l’ordonnance Bruxelles numérique est-elle le révélateur ? ».

 

(3) Rappelons le projet fertile que représente Molenbeek for Brussels 2030, avec Molenbeek comme possible « Capitale européenne de la Culture », projet soutenu par l’ensemble du Parlement bruxellois récemment !

 

Signataires – Asbl/services : La Rue asbl, Wijk-Antenne de Quartier (WAQ), SSM D’Ici et d’Ailleurs, CJ Le Foyer asbl/vzw, AMO L’Oranger asbl, Proforal asbl, MJ L’Avenir asbl, Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI) asbl, Trait d’Union asbl, Lire et Ecrire Bruxelles asbl, Habitants des Images asbl, Smoners asbl, Service Antenne J, Ma Pa solo asbl, Le Piment asbl, Le Jardin Ensoleillé asbl, SETIS Bruxelles asbl, Tchaï asbl, Maison des Cultures et de la Cohésion Sociale (MCCS), La Goutte d’Huile asbl, Ecole du Cirque de Bruxelles asbl, Artmonid asbl, Centre communautaire Maritime (CCM) asbl, CEMEA asbl, AMO Atout Jeunes asbl, ABEF asbl, AJM asbl, ESMA-Carrefour des Cultures asbl, Les Albelges asbl, Les Erudits asbl, Formation insertion jeunes (FIJ) asbl, La Porte Verte Education asbl, Ras El Hanout asbl, CASG Solidarité-Savoir asbl, Molenbeek-Vivre-Ensemble (MOVE) asbl, Coordination des Ecoles de devoirs asbl, Mission locale de Molenbeek asbl, la Coordination molenbeekoise du programme de Cohésion Sociale, la Maison des Cultures & de la Cohésion sociale. (Le Collège des Bourgmestre & Echevins de Molenbeek apporte son soutien à la démarche de la Carte blanche).