Rapport d’activités CBAI 2022

Introduction

 

Il y a tout juste un an, nous exprimions notre préoccupation face à la situation budgétaire que rencontrait notre institution laquelle devait affronter les effets de plusieurs phénomènes concomitants liés aux différentes indexations (augmentation importante de la masse salariale), à l’augmentation des coûts énergétiques ainsi qu’à certains dispositifs de subsidiation qui, du fait de ne pas inclure de mécanismes d’indexation, se trouvent figés depuis plusieurs années sur des montants immobilisés.


Dans un premier temps, nous avons considéré qu’il était important d’interpeller certaines fédérations ou organismes intermédiaires (CBCS, FESEFA, FEBISP) afin de déterminer si ces difficultés que nous rencontrions étaient vécues par d’autres associations. Le cas échéant, il s’agissait de participer à la mise en place d’une démarche collective. Nous avons voulu également interpeller les pouvoirs publics afin de solliciter auprès de ces derniers une aide pour nous permettre d’envisager une situation budgétaire équilibrée.


Force est de reconnaitre que nous avons été entendus. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons exprimer notre gratitude à l’adresse du Gouvernement francophone bruxellois ainsi qu’au Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Toutefois, ne nous laissons pas bercer par de douces illusions : il ne faudrait pas que cette situation momentanément favorable dissimule le fait que notre institution, comme d’autres, est exposée à d’importantes conditions de vulnérabilité structurelle qui ne tarderont pas à produire leurs effets.


Les missions du CBAI nous mettent au contact des réalités vécues par les associations. Nous percevons les forces qui les animent, qui nourrissent leurs espoirs, qui les maintiennent debout face à ces enfants, ces hommes et ces femmes qui continuent à répondre aux propositions qu’elles tentent, dans des conditions de plus en plus précaires, de mettre en œuvre. Comment ne pas nous faire l’écho des difficultés croissantes qu’elles rencontrent dans l’exercice de leurs missions ?


Des forces qui dévitalisent


Ces difficultés sont connues depuis longtemps. Elles ont fait l’objet d’analyses récentes1 lesquelles soulignent également les forces de vie qui caractérisent les pratiques associatives.

 

A certains égards, les situations associatives peuvent être aussi perçues comme des situations d’embûches. Ces dernières résultent de plusieurs facteurs notamment de l’existence de violences de société qui projettent de plus en plus de familles, comme nous le constatons dans nos publics en formation, dans des conditions d’insécurité existencielle. Les travailleurs et travailleuses du social ont alors affaire à des êtres abîmés aux prises avec des enjeux de survie qui les détournent de notre offre associative. Il nous faut alors essayer de maintenir la force de cette accroche née de la rencontre entre une destinée individuelle et l’existence de la proposition interculturelle associative que nous leur adressons.


Les pratiques associatives doivent également faire face à l’inflation des exigences et des contraintes administratives lesquelles manifestent le renforcement d’une rationalité technocratique de plus en plus déliée de la réalité des mondes vécus.

 

Il existe aussi une stratégie de la gouvernance qui obéit au principe dit de l’« infra subsidiation ». A l’échèle d’une même association, chaque pouvoir public s’engage à apporter un soutien dont il sait par ailleurs que ce dernier est insuffisant pour couvrir l’ensemble de l’action envisagée. A charge de l’association de trouver les moyens complémentaires. « Y a qu’à … »


Et, de fait, c’est en assemblant, suivant un art savant de l’ingénierie associative, les différentes composantes budgétaires que les associations parviennent à donner un contour à la réalité organique que forment leurs pratiques. Elles sont alors en mesure de constituer ces morceaux et ces parties, en une totalité qui fait sens avec leur objet social.


Ces modalités administratives produisent sur les pratiques associatives des effets de fragmentation qu’elles parviennent avec des fortunes diverses à neutraliser. Ces effets sont de nature à dévitaliser les forces de proposition qui animent l’agir associatif. Cette réalité, nous pensons qu’il est important de la rappeler dans ces quelques lignes d’introduction.


Déstabliser et ouvrir vers de nouvelles reconfigurations


Des participants et des participantes vont être déstabilisées au cours d’un jeu réflexif sur l’identité, des travailleurs et travailleuses au sein d’un service public vont s’interroger sur les capacités de cette dernière à mettre en place des aménagements en vue d’accommoder la diversité, des professionnels d’une institution aux prises avec des faits de racisme, invités à travailler sur les préjugés et les stéréotypes vont contester le bien-fondé des cadres et des procédures proposés par les formateurs et formatrices. Ces situations ont ceci de commun que quelque chose vacille. Quelque chose? Une représentation de soi, de ce qu’on croit être, de ce qu’on croit devoir faire, dans le respect des règles déontologiques du métier pratiqué. Une façon de percevoir les autres, ces autres-là, pas ceux auxquels on est habitué et qu’on aime fréquenter dans l’« entre soi » protecteur que nous chérissons. Ces autres avec lesquels il faut négocier le projet professionnel et militant, ces autres que nous n’avons pas choisi et avec lesquels il faut construire une issue.


Les métiers par lesquels notre institution fait vivre l’action interculturelle nous projettent dans ces espaces de frottement. Dans toutes ces situations, les travailleurs et travailleuses du CBAI font l’expérience d’un déséquilibre : des configurations et des cadres de perception sont déstabilisés, mais dans ces moments d’effondrement, une force de recomposition est à l’œuvre, une nouvelle configuration devient possible et nous faisons le pari que celle-ci peut mettre les participants en recherche, qu’elle peut les ouvrir à la complexité du monde et des univers culturels. Cette dernière n’étant pas l’aboutissement d’un amer constat mais la promesse d’un avenir à construire. Le pluriversalisme disait Achille Mbembe 2.

1. Cent ans d’associatif en Belgique, du Collectif 21, ouvrage collectif qui réunit une cinquantaine de contributrices et contributeurs, coordonné par Mathieu Bietlot, Manon Legrand et Pierre Smet, 2022. On citera également Autonomie associative menacée: des défis et ambitions pour garantir nos libertés, Couleur Livres, octobre 2021, ouvrage coordonné par la FESEFA.

2. Achille Mbembe, Politique de l’inimitié. La découverte, Paris, 2016.