#359 - novembre/decembre 2021

Respect

Texte sur photo

Elle crie, elle hurle, elle rugit. Ça gueule, ça braille, haro de sanglots lourds des silences, des pas qui tapent le pavé, aveugles aux souffrances. Elle crie, elle hurle, elle rugit, la rue endormie de siècles d’omerta, s’éveille d’un murmure qui, comme les eaux déchaînées des fleuves en crue, grossit. Elle vomit, la rue, elle vomit les mots entendus, les “sales putes” comme des couteaux, vacillent les corps incertains, passagers clandestins dans un monde où se terrent les élancées de femmes, devenues carcasses, réduites à la matière de l’enveloppe qui les tient, faites viande, faites chairs, fraiches. Du plus loin que le monde, des premiers temps, de la matrice du vivant, gronde, mugit le cri. Murmure, éclat de voix, chant du fin fond des mères, chant du fin fond des ventres, complaintes abasourdissantes. Et rien ne sert de vouloir fuir, les mains sur les oreilles, les yeux fermés, le cri est là, il transperce tympans et bienséances. Il fracasse, étourdit, coupe le souffle, pétrifie. 

 

Écoute. Le sol et le cœur en lambeaux. Tambours. Timbales. Écoute et regarde. Elles sont là. Tremble, oui, tremble de ne plus pouvoir écraser, frapper, violer ni de plein jour ni de derrière les portes closes. Tremble. Elles sont là, ensemble. Regarde. Elles sont là. Belles d’être debout, ces femmes, de toutes couleurs, de tous âges, habillées de quartiers libres et de courage, elles bafouent les murs et les sols, elles profanent de leurs seins, elles balafrent les gardiens de l’ordre qui les tuent. Entends-tu l’air qui les porte, entends-tu leur poésie faite rage, de siècles, d’imprimer dans leurs cellules, de se taire, d’être de second choix, d’être de moins de droits, que l’on touche, que l’on moleste. Je me sers, tu te sers, nous nous servons et les rires gras. Main dans la main, peau sur peau, nudité fière t’agresse comme lame aiguisée, la puissance de ces corps rendus à eux-mêmes t‘affole, terrifié. Tremble, oui, tremble de ne plus pouvoir écraser, frapper, violer ni de plein jour ni de derrière les portes closes. Tremble. Elles sont là, ensemble. Elles se refusent à l’obéissance, sortent du rang, brisent les chaines. Elles marchent, elles marchent, côte à côte, emportées d’un élan irréversible d’évasion. Elles connaissent chaque barreau, chaque verrou, visible et invisible, des prisons. Elles s’échappent, t’échappent, galvanisées de sororité, et la rue embrasse, avale, répercute leur cri comme autrefois leurs larmes.