#370 - janvier/fevrier 2024

Le nom que je porte est-il un obstacle?

La discrimination est un phénomène répandu qui présente de nombreux inconvénients pour les groupes ciblés, ainsi que pour la société dans son ensemble. Bien que toutes les formes de discrimination soient problématiques, celles ayant trait à l’accès au logement des personnes d’origine étrangère se révèlent particulièrement pénalisantes en matière d’exclusion sociale.

 

La discrimination dans l’accès au logement peut se référer à la fois à une diminution des opportunités – par laquelle certaines personnes ou certains groupes sont dissuadés de s’engager dans le processus de recherche d’un logement en leur demandant par exemple plus d’informations (personnelles) ou en parlant de conditions de location supplémentaires – qu’à un déni d’opportunités – en ne répondant pas à certaines personnes ou groupes, ou en refusant de leur louer le logement. Les deux ont des conséquences considérables, en ceci que le logement conditionne le bien-être, le développement personnel ainsi que la participation sociale de toute personne.

 

Mais la discrimination en matière de logement va plus loin: des personnes d’origine étrangère ont plus de possibilités de se retrouver dans des logements de moindre qualité (caractérisés, entre autres, par des problèmes d’humidité et des espaces restreints), et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, la discrimination peut conduire les personnes d’origine étrangère à n’avoir que peu ou pas d’options pour choisir entre les logements, les options disponibles étant de mauvaise qualité. Deuxièmement, l’anticipation et/ou la perception de la discrimination peuvent amener ces personnes à se sentir obligées d’accepter ce logement de mauvaise qualité.

 

5 fois plus d’effort

 

Si l’on considère uniquement le déni d’opportunités (comme décrit plus haut), qui se produit dans la première phase – la phase de contact – du processus de logement, des niveaux importants et élevés de discrimination locative sont mesurés dans différentes villes belges. La plupart des villes, y compris Bruxelles1, se situent autour de 20 % de discrimination locative à l’encontre de personnes d’origine étrangère. En d’autres termes, dans environ 20 % des cas, la personne portant “un nom à consonance belge” a été invitée pour une visite du bien, mais pas la personne ayant “un nom à consonance non belge”. Ou encore: une personne ayant un nom à consonance non belge doit faire cinq demandes, alors que dans le cas d’une personne portant un nom à consonance belge, une seule demande suffit pour avoir autant de chances d’être invitée à la visite du bien.

 

Mais sur quelle base cette discrimination se fonde-t-elle ? Contrairement à la pensée méritocratique largement répandue, prônant que le travail acharné et l’engagement suffisent à sortir de l’exclusion sociale, les victimes de discrimination au logement disposent de bien peu de leviers. Ainsi, ces personnes n’ont bien souvent même pas encore pu rencontrer des agents immobiliers ou des propriétaires privés, qu’elles voient leurs options déjà fortement restreintes. Ceci repose entre autres sur le fait que, de nos jours, les premières prises de contact entre potentiels locataires et bailleurs se font de plus en plus par courrier électronique. Dès lors, le nom d’une personne – élément d’information le plus élémentaire qui s’offre aux agents immobiliers et propriétaires privés – s’imprime comme une première frontière pour les potentiels locataires.

 

Etre ou ne pas être européen

 

Dans le cadre d’une étude2 récente menée en Belgique, je me suis intéressée à la perception – au sein de la population belge – de l’origine à travers le nom. Ces “signaux d’origine” ne s’avèrent que peu précis sur le pays spécifique: ainsi, seulement 1 à 3 individus sur 10 étaient en mesure d’identifier le pays d’origine spécifique pour des noms à consonance marocaine, turque, congolaise et polonaise. Pour autant, il apparaît que les enquêtés et enquêtées établissent des distinctions plus marquées entre des noms belges ou européens et des noms non belges ou non européens.

 

Au-delà d’être un marqueur de l’origine supposée d’une personne, la perception du simple nom charrie de puissantes suppositions quant à la religiosité, la classe sociale ainsi que le niveau d’éducation. Les individus aux noms à consonance turque et marocaine sont ainsi perçus comme étant plus religieux et d’une classe sociale et d’un niveau d’éducation inférieurs à leurs homologues aux noms à consonance belge. Celles et ceux dont les noms ont une consonance congolaise et polonaise se situent dans un entre deux. Partant, les personnes d’origine étrangère sont globalement perçues comme étant plus religieuses, d’une classe sociale et d’un niveau d’éducation plus faibles en regard de celles et ceux portant des noms à consonance belge. En somme, la perception du nom est en soi un puissant vecteur de stéréotypes négatifs et de préjugés contribuant par là à des processus d’assignation minoritaire.

 

Discrimination et racisme

 

La question logique suivante à se poser est: ces suppositions sur la personne qui existe derrière chaque nom peuvent-elles contribuer (en partie) à expliquer en quoi la discrimination se produit avant même qu’un contact réel ait lieu ? La réponse est oui3. Pour autant, cette réponse diffère selon qu’il s’agit d’agents immobiliers ou de propriétaires privés. Le niveau de religiosité supposée par la perception d’un nom est ainsi particulièrement associé à des niveaux élevés de discrimination de la part d’agents immobiliers. De plus, j’ai également constaté que les agents immobiliers infèrent le statut socio-économique supposé d’une personne sur la base du simple nom, renforçant dès lors la discrimination. En l’absence d’informations objectives ou concrètes attestant des réelles ressources dont disposent les potentiels locataires, ils reconduisent les stéréotypes et les préjugés liés à certains groupes ethnoculturels en recourant à des jugements subjectifs de capacité financière. Cependant, cette situation est différente en ce qui concerne les propriétaires privés. J’ai ainsi pu constater que ceux-ci discriminent particulièrement les noms à consonance non européenne, témoignant par là d’une discrimination plus proprement raciste que socio-économique.

 

En définitive, il apparaît que les personnes d’origine étrangère sont particulièrement touchées par la discrimination en matière de logement et que, contrairement à ce que laisse penser l’idéologie méritocratique, elles sont démunies face à ces processus et n’ont que peu de leviers à activer. Le nom – comme substrat d’information indirecte – est en lui-même générateur de suppositions et d’assignations minoritaires en cela que des stéréotypes et des préjugés en tous genres s’y trouvent fréquemment activés. Ces derniers fonctionnent comme un premier filtre dans l’accès au marché du logement. La discrimination exclut donc d’emblée des candidats locataires qui, autrement, pourraient parfaitement correspondre au profil recherché. Cette discrimination représente en outre un coût non négligeable pour les agents immobiliers et les propriétaires privés, en cela qu’elle réduit considérablement le nombre de candidats locataires. Les personnes d’origine étrangère, quant à elles, déploient des stratégies alternatives de recherche de logement – par exemple, à travers leur réseau propre – et doivent, en outre, se rabattre sur des logements de moindre qualité. De toute évidence, il est essentiel de donner la priorité à une approche élargie et intégrée pour lutter contre la discrimination sur le marché du logement. En ce sens, il est nécessaire à la fois de sensibiliser (en agissant sur la culture et les discours sur la diversité dans les villes belges et en offrant des formations aux (futurs) agents immobiliers), et de recourir à des sanctions si nécessaire.

[1] Verhaeghe P. P., Discrimibrux – Discriminatie door vastgoedmakelaars  op de private huurwoningmarkt van het Brussels Hoofdstedelijk Gewest, 2017.
[2] Martiniello B., et Verhaeghe P. P., Signaling ethnic-national origin through names? The perception of names from an intersectional perspective. Plos One, 17(8), 2022, pp. 1-20.
[3] Martiniello B., & Verhaeghe P. P., Different names, different discrimination? How perceptions of names can explain rental discrimination. Frontiers in Sociology, 8, 2023, pp.1-15.